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Locke, dont on parle tant aujourd’hui sur la foi de son vulgarisateur Voltaire, tu ne ressembles pas à M. Helvétius, avec qui je me suis souvent entretenu, ni à Lamettrie dont la hardiesse matérialiste plaisait tant à la cour de Berlin. Tu ne dis pas, comme eux, que l’homme n’a rien de particulier qui le différencie des animaux, des arbres, des pierres. Dieu, sans doute, fait vivre toute la nature, comme il fait vivre l’homme ; mais il y a de l’ordre dans sa théodicée. Il y a des distinctions dans sa pensée, et par conséquent dans ses œuvres, qui sont sa pensée réalisée. Lis le grand livre qu’on appelle la Genèse, ce livre que le vulgaire regarde avec raison comme sacré, sans le comprendre : tu y verras que c’est par la lumière divine établissant la distinction des êtres que se fait l’éternelle création : fiat lux, et facta est lux. Tu y verras aussi que chaque être ayant un nom dans la pensée divine est une espèce : creavit cuncta juxta genus suum et secundum speciem suam. Quelle est donc la formule particulière de l’homme ?

— Je t’entends. Tu veux que je te donne une formule de l’homme analogue à celle de Dieu. La Trinité divine doit se retrouver dans toutes les œuvres de Dieu ; chaque œuvre de Dieu doit refléter la nature divine, mais d’une manière spéciale ; chacune, en un mot, suivant son espèce.

— Assurément. La formule de l’homme, je vais te la dire. Il se passera encore longtemps avant que les philosophes, divisés aujourd’hui dans leurs manières de voir, se réunissent pour la comprendre. Cependant il y en a un qui l’a comprise, il y a déjà bien des années. Celui-là est plus grand que les autres, bien qu’il soit infiniment moins célèbre pour le vulgaire. Tandis que l’école de Descartes se perd dans la raison pure, faisant