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du faîte de cette corruption, j’ai consacré les dernières années de ma force à agir directement sur le peuple. Je me suis adressé aux pauvres, aux faibles, aux opprimés, et je leur ai apporté ma prédication sous la forme de l’art et de la poésie, qu’ils comprennent parce qu’ils l’aiment. Il est possible que je me sois trop méfié des bons instincts qui palpitent encore chez les hommes de la science et du pouvoir. Je ne les connais plus depuis que, dégoûté de leur scepticisme impie et de leur superstition plus impie encore, je me suis éloigné d’eux avec dégoût pour chercher les simples de cœur. Il est probable qu’ils ont dû changer, se corriger et s’instruire. Que dis-je ? il est certain que ce monde a marché, qu’il s’est épuré, et qu’il a grandi depuis quinze ans ; car toute chose humaine gravite sans cesse vers la lumière, et tout s’enchaîne, le bien et le mal, pour s’élancer vers l’idéal divin. Tu veux t’adresser au monde des savants, des patriciens et des riches ; tu veux niveler par la persuasion : tu veux séduire, même les rois, les princes et les prélats, par les charmes de la vérité. Tu sens bouillonner en toi cette confiance et cette force qui surmontent tous les obstacles, et rajeunissent tout ce qui est vieux et usé. Obéis, obéis au souffle de l’esprit ! continue et agrandis notre œuvre ; ramasse nos armes éparses sur le champ de bataille où nous avons été vaincus. »

Alors s’engagea entre Spartacus et le divin vieillard un entretien que je n’oublierai de ma vie. Car il se passa là une chose merveilleuse. Ce Rudolstadt, qui n’avait d’abord voulu nous parler qu’avec les sons de la musique, comme autrefois Orphée, cet artiste qui nous disait avoir depuis longtemps abandonné la logique et la raison pure pour le pur sentiment, cet homme que des juges infâmes ont appelé un insensé et qui a accepté de passer pour tel, faisant comme un effort sublime par charité