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l’âme si respectable et si touchant. J’ai compris, en voyant ce Trismégiste, la vénération que les paysans, grands théologiens et grands métaphysiciens sans le savoir, et les peuples de l’Orient portent aux hommes privés de ce qu’on appelle le flambeau de la raison. Ils savent que quand on ne trouble pas par de vains efforts et de cruelles moqueries cette abstraction de l’intelligence, elle peut devenir une faculté exceptionnelle du genre le plus poétiquement divin, au lieu de tourner à la fureur ou à l’abrutissement. J’ignore ce que deviendrait Trismégiste, si sa famille ne s’interposait pas comme un rempart d’amour et de fidélité entre le monde et lui. Mais s’il devait dans ce cas succomber à son délire, ce serait une preuve de plus de ce qu’on doit de respect et de sollicitude aux infirmes de sa trempe, et à tous les infirmes quels qu’ils soient.

Cette famille marchait avec une aisance et une agilité qui eurent bientôt épuisé nos forces. Les petits enfants eux-mêmes, si on ne les eût empêchés de se fatiguer en les portant, eussent dévoré l’espace. On dirait qu’ils se sentent nés pour marcher comme le poisson pour nager. La Zingara ne veut pas que son fils prenne les petites dans ses bras, malgré son bon désir, tant qu’il n’aura pas achevé sa croissance et que sa voix n’aura pas subi la crise que les chanteurs appellent la mue. Elle soulève sur son épaule robuste ces créatures souples et confiantes, et les porte aussi légèrement que sa guitare. La force physique est un des bénéfices de cette vie nomade qui devient une passion pour l’artiste pauvre, comme pour le mendiant ou le naturaliste.

Nous étions très-fatigués, lorsqu’à travers les plus rudes sentiers nous arrivâmes à un lieu sauvage et romantique appelé le Schreckenstein. Nous remarquâmes qu’aux approches de ce lieu, la Consuelo regardait son