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ne sache pas comment, je cède à cette considération. D’ailleurs, sa volonté a toujours été ma volonté, comme la mienne a toujours été la sienne. Nous ne rentrerons pas ce soir au hameau. Si vous êtes nos amis comme vous en avez l’air, vous y retournerez à la nuit, quand vous vous serez assez promenés, et vous leur expliquerez cela. Nous ne leur avons pas fait d’adieux pour ne pas les affliger, mais vous leur direz que nous reviendrons. Quant à Zdenko, vous n’avez qu’à lui dire demain, ses prévisions ne vont pas au-delà. Tous les jours, toute la vie, c’est pour lui demain. Il a dépouillé l’erreur des notions humaines. Il a les yeux ouverts sur l’éternité, dans le mystère de laquelle il est prêt à s’absorber pour y prendre la jeunesse de la vie. Zdenko est un sage, l’homme le plus sage que j’aie jamais connu. »

L’espèce d’égarement de Trismégiste produisait sur sa femme et sur ses enfants un effet digne de remarque. Loin d’en rougir devant nous, loin d’en souffrir pour eux-mêmes, ils écoutaient chacune de ses paroles avec respect, et il semblait qu’ils trouvassent dans ses oracles la force de s’élever au-dessus de la vie présente et d’eux-mêmes. Je crois qu’on eût bien étonné et bien indigné ce noble adolescent qui épiait avidement chaque pensée de son père, si on lui eût dit que c’étaient les pensées d’un fou. Trismégiste parlait rarement, et nous remarquâmes aussi que ni sa femme ni ses enfants ne l’y provoquaient jamais sans une absolue nécessité. Ils respectaient religieusement le mystère de sa rêverie, et quoique la Zingara eût les yeux sans cesse attachés sur lui, elle semblait bien plutôt craindre pour lui les importunités, que l’ennui de l’isolement où il se plaçait. Elle avait étudié sa bizarrerie, et je me sers de ce mot pour ne plus prononcer celui de folie qui me répugne encore davantage quand il s’agit d’un tel homme et d’un état de