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monie mêlée à la clochette lointaine des chèvres sur la montagne, vous concevrez notre émotion et l’ineffable jouissance poétique où nous restâmes longtemps plongés.

« Maintenant, mes enfants, dit Albert Podiebrad aux villageois, nous avons prié, il faut travailler. Allez aux champs, moi je vais chercher, avec ma famille, l’inspiration et la vie à travers la forêt.

— Tu reviendras ce soir ? » s’écrièrent tous les paysans.

La Zingara fit un signe d’affection qu’ils prirent pour une promesse. Les deux petites filles, qui ne comprenaient rien au cours du temps ni aux chances du voyage, crièrent : « Oui ! oui ! » avec une joie enfantine, et les paysans se dispersèrent. Le vieux Zdenko s’assit sur le seuil de la chaumière, après avoir veillé d’un air paternel à ce que l’on garnît la gibecière de son filleul du déjeuner de la famille. Puis la Zingara nous fit signe de suivre, et nous quittâmes le village sur les traces de nos musiciens ambulants. Nous avions le revers du ravin à monter. Le maître et moi prîmes chacun une des petites filles dans nos bras, et ce fut pour nous une occasion d’aborder Trismégiste, qui, jusque-là, n’avait pas semblé s’apercevoir de notre présence.

« Vous me voyez un peu rêveur, me dit-il. Il m’en coûte de tromper ces amis que nous quittons, et ce vieillard que j’aime et qui nous cherchera demain par tous les sentiers de la forêt. Mais Consuelo l’a voulu ainsi, ajouta-t-il en nous désignant sa femme. Elle croit qu’il y a du danger pour nous à rester plus longtemps ici. Moi, je ne puis me persuader que nous fassions désormais peur ou envie à personne. Qui comprendrait notre bonheur ? Mais elle assure que nous attirons le même danger sur la tête de nos amis, et, bien que je