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Les paysans s’élancèrent sur nos pas en criant et en chantant. Tout en marchant, la Zingara nous apprit qu’elle et sa famille quittaient le hameau ce matin même.

« Il ne faut pas le dire, ajouta-t-elle ; une telle séparation ferait verser trop de larmes, car nous avons bien des amis ici. Mais nous n’y sommes pas en sûreté. Quelque ancien ennemi peut venir à passer et reconnaître Albert de Rudolstadt sous le costume bohémien. »

Nous arrivâmes sur la place du hameau, une verte clairière, environnée de superbes tilleuls qui laissaient paraître, entre leurs flancs énormes d’humbles maisonnettes et de capricieux sentiers tracés et battus par le pied des troupeaux. Ce lieu nous parut enchanté, aux premières clartés du soleil oblique qui faisait briller le tapis d’émeraudes des prairies, tandis que les vapeurs argentées du matin se repliaient sur le flanc des montagnes environnantes. Les endroits ombragés semblaient avoir conservé quelque chose de la clarté bleuâtre de la nuit, tandis que les cimes des arbres se teignaient d’or et de pourpre. Tout était pur et distinct, tout nous paraissait frais et jeune, même les antiques tilleuls, les toits rongés de mousse, et les vieillards à barbe blanche qui sortaient de leurs chaumières en souriant. Au milieu de l’espace libre, où un mince filet d’eau cristalline coulait en se divisant et en se croisant sous les pas, nous vîmes Trismégiste environné de ses enfants, deux charmantes petites filles, et un garçon de quinze ans, beau comme l’Endymion des sculpteurs et des poëtes.

« Voici Wanda, nous dit la Zingara en nous présentant l’aînée de ses filles, et la cadette s’appelle Wenceslawa. Quant à notre fils, il a reçu le nom chéri du meilleur ami de son père, il s’appelle Zdenko. Le vieux Zdenko a pour lui une préférence marquée. Vous voyez qu’il tient ma Wenceslawa entre ses jambes, et