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que c’est la démence des hommes et l’erreur des institutions qui font paraître fous les hommes de génie et d’invention. Tenez, venez avec nous, et voyagez comme nous toute cette journée, s’il le faut. Il y aura peut-être une heure où Trismégiste sera en train de parler d’autre chose que de musique. Il ne faut pas le solliciter, cela viendra de soi-même dans un moment donné. Un hasard peut réveiller ses anciennes idées. Nous partons dans une heure, notre présence ici peut attirer sur la tête de mon époux des dangers nouveaux. Partout ailleurs nous ne risquons pas d’être reconnus après tant d’années d’exil. Nous allons à Vienne, par la chaîne du Bœhmerwald et le cours du Danube. C’est un voyage que j’ai fait autrefois, et que je recommencerai avec plaisir. Nous allons voir deux de nos enfants, nos aînés, que des amis dans l’aisance ont voulu garder pour les faire instruire ; car tous les hommes ne naissent pas pour être artistes, et chacun doit marcher dans la vie par le chemin que la Providence lui a tracé. »

Telles sont les explications que cette femme étrange, pressée par nos questions, et souvent interrompue par nos objections, nous donna du genre de vie qu’elle avait adopté d’après les goûts et les idées de son époux. Nous acceptâmes avec joie l’offre qu’elle nous faisait de la suivre ; et, lorsque nous sortîmes avec elle de la chaumière, la garde civique qui s’était formée pour nous arrêter, avait ouvert ses rangs pour nous laisser partir.

« Allons, enfants, leur cria la Zingara de sa voix pleine et harmonieuse, votre ami vous attend sous les tilleuls. C’est le plus beau moment de la journée, et nous aurons la prière du matin en musique. Fiez-vous à ces deux amis, ajouta-t-elle en nous désignant de son beau geste naturellement théâtral : ils sont des nôtres, et ne nous veulent que du bien. »