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liens grossiers. Il ne nous fallut pas longtemps pour découvrir que, dans les rangs de la véritable noblesse, celle du cœur et de l’intelligence, il avait rencontré une poétique amante, une âme sœur de la sienne, pour traverser avec lui les orages de la vie.

« Pardonnez-moi mes craintes et ma méfiance, nous dit-elle quand nous eûmes satisfait à ses questions. Nous avons été persécutés, nous avons beaucoup souffert. Grâce au ciel, mon ami a perdu la mémoire du malheur ; rien ne peut plus l’inquiéter ni le faire souffrir. Mais moi que Dieu a placée près de lui pour le préserver, je dois m’inquiéter à sa place et veiller à ses côtés. Vos physionomies et l’accent de vos voix me rassurent plus encore que ces signes et ces paroles que nous venons d’échanger ; car on a étrangement abusé des mystères, et il y a eu autant de faux frères que de faux docteurs. Nous devrions être autorisés par la prudence humaine à ne plus croire à rien ni à personne ; mais que Dieu nous préserve d’en venir à ce point d’égoïsme et d’impiété ! La famille des fidèles est dispersée, il est vrai ; il n’y a plus de temple pour communier en esprit et en vérité. Les adeptes ont perdu le sens des mystères ; la lettre a tué l’esprit. L’art divin est méconnu et profané parmi les hommes ; mais qu’importe, si la foi persiste dans quelques-uns ? Qu’importe, si la parole de vie reste en dépôt dans quelque sanctuaire ? Elle en sortira encore, elle se répandra encore dans le monde, et le temple sera peut-être reconstruit par la foi de la Chananéenne et le denier de la veuve.

— Nous venons chercher précisément cette parole de vie, répondit le maître. On la prononce dans tous les sanctuaires, et il est vrai qu’on ne la comprend plus. Nous l’avons commentée avec ardeur, nous l’avons portée en nous avec persévérance ; et, après des années de