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tage, et revenez me voir demain. Vous pouvez frapper à la première porte venue. Partout ici vous serez bien reçus, si vous connaissez la langue du pays. »

Il ne fut pas nécessaire de faire briller le peu d’argent dont nous étions munis. L’hospitalité du paysan bohême est digne des temps antiques. Nous fûmes reçus avec une obligeance calme, et bientôt avec une affectueuse cordialité, quand on nous entendit parler la langue slave sans difficulté ; le peuple d’ici est encore en méfiance de quiconque l’aborde avec des paroles allemandes à la bouche.

Nous sûmes bientôt que nous étions au pied de la montagne et du château des Géants, et, d’après ce nom, nous eussions pu nous croire transportés par enchantement dans la grande chaîne septentrionale des Karpathes. Mais on nous apprit qu’un des ancêtres de la famille Podiebrad avait ainsi baptisé son domaine, par souvenir d’un voeu qu’il avait fait dans le Riesengebürge. On nous raconta aussi comment les descendants de Podiebrad avaient changé leur propre nom, après les désastres de la guerre de trente ans, pour prendre celui de Rudolstadt ; la persécution s’étendait alors jusqu’à germaniser les noms des villes, des terres, des familles et des individus. Toutes ces traditions sont encore vivantes dans le cœur des paysans bohêmes. Ainsi le mystérieux Trismégiste, que nous cherchions, est bien réellement le même Albert Podiebrad, qui fut enterré vivant, il y a vingt-cinq ans, et qui, arraché de la tombe, on n’a jamais su par quel miracle, disparut longtemps et fut persécuté et enfermé, dix ou quinze ans plus tard, comme faussaire, imposteur et surtout comme franc-maçon et rose-croix ; c’est bien ce fameux comte de Rudolstadt, dont l’étrange procès fut étouffé avec soin, et dont l’identité n’a jamais pu être constatée. Ami, ayez donc con-