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que tu ne comptes le temps pour rien dans ta notion et dans ton sentiment de la vie ?

— Le temps n’existe pas ; et si les hommes méditaient davantage l’essence divine, ils ne compteraient pas plus que moi les siècles et les années. Qu’importe à celui qui participe de Dieu au point d’être éternel, à celui qui a toujours vécu et qui ne cessera jamais de vivre, un peu plus ou un peu moins de sable au fond de la clepsydre ? La main qui retourne le sablier peut se hâter ou s’engourdir ; celle qui fournit le sable ne s’arrêtera pas.

— Tu veux dire que l’homme peut oublier de compter et de mesurer le temps, mais que la vie coule toujours abondante et féconde du sein de Dieu ? Est-ce là ta pensée ?

— Tu m’as compris, jeune homme. Mais j’ai une plus belle démonstration des grands mystères.

— Des mystères ? Oui, je suis venu de bien loin pour t’interroger et m’instruire auprès de toi.

— Écoute donc ! dit l’inconnu en faisant asseoir sur une tombe le vieillard qui lui obéissait avec la confiance d’un petit enfant. Ce lieu-ci m’inspire particulièrement, et c’est ici qu’aux derniers feux du soleil et aux premières blancheurs de la lune, je veux élever ton âme à la connaissance des plus sublimes vérités. »

Nous palpitions de joie à l’idée d’avoir trouvé enfin, après deux années de recherches et de perquisitions, ce mage de notre religion, ce philosophe à la fois métaphysicien et organisateur qui devait nous confier le fil d’Ariane et nous faire retrouver l’issue du labyrinthe des idées et des choses passées. Mais l’inconnu, saisissant son violon, se mit à en jouer avec verve. Son vigoureux archet faisait frémir les plantes comme le vent du soir, et résonner les ruines comme la voix humaine. Son