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à-tête observé, qu’il était Albert de Rudolstadt. Amélie le reconnut sans doute en ce moment ; mais elle s’évanouit, terrifiée par un événement si bizarre. Dès lors l’affaire prit une autre tournure.

On voulut considérer Albert comme un imposteur ; mais, afin d’élever une de ces interminables contestations qui ruinent les deux parties, des fonctionnaires, du genre de ceux qui avaient dépouillé Trenck, s’acharnèrent à compromettre l’accusé, en lui faisant dire et soutenir qu’il était Albert de Rudolstadt. Une longue enquête s’ensuivit. On invoqua le témoignage de Supperville, qui, de bonne foi sans doute, se refusa à douter qu’il l’eût vu mourir à Riesenburg. On ordonna l’exhumation de son cadavre. On trouva dans sa tombe un squelette qu’il n’avait pas été difficile d’y placer la veille. On persuada à sa cousine qu’elle devait lutter contre un aventurier résolu à la dépouiller. Sans doute on ne leur permit plus de se voir. On étouffa les plaintes du captif et les ardentes réclamations de sa femme sous les verrous et les tortures de la prison. Peut-être furent-ils malades et mourants dans des cachots séparés. Une fois l’affaire entamée, Albert ne pouvait plus réclamer pour son honneur et sa liberté qu’en proclamant la vérité. Il avait beau protester de sa renonciation à l’héritage, et vouloir tester à l’heure même en faveur de sa cousine, on voulait prolonger et embrouiller le procès, et on y réussit sans peine, soit que l’impératrice fût trompée, soit qu’on lui eût fait entendre que la confiscation de cette fortune n’était pas plus à dédaigner que celle du pandoure. Pour y parvenir, on chercha querelle à Amélie elle-même, on revint sous main sur le scandale de son ancienne escapade, on observa son manque de dévotion, et on la menaça en secret de la faire enfermer dans un couvent, si elle n’abandonnait ses droits à une