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Le soir, Consuelo fit sa toilette comme à l’ordinaire, et se présenta sur la scène. Elle se posa, et ses lèvres articulèrent un mot… mais pas un son ne sortit de sa poitrine, elle avait perdu la voix.

Le public stupéfait se leva en masse. Les courtisans, qui commençaient à savoir vaguement sa tentative de fuite, déclarèrent que c’était un caprice intolérable. Il y eut des cris, des huées, des applaudissements à chaque nouvel effort de la cantatrice. Elle essaya de parler, et ne put faire entendre une seule parole. Cependant, elle resta debout et morne, ne songeant pas à la perte de sa voix, ne se sentant pas humiliée par l’indignation de ses tyrans, mais résignée et fière comme l’innocent condamné à subir un supplice inique, et remerciant Dieu de lui envoyer cette infirmité subite qui allait lui permettre de quitter le théâtre et de rejoindre Albert.

Il fut proposé à l’impératrice de mettre l’artiste récalcitrante en prison pour lui faire retrouver la voix et la bonne volonté. Sa Majesté avait eu un instant de colère, et on croyait lui faire la cour en accablant l’accusée. Mais Marie-Thérèse, qui permettait quelquefois les crimes dont elle profitait, n’aimait point à faire souffrir sans nécessité.

« Kaunitz, dit-elle à son premier ministre, faites délivrer à cette pauvre créature un permis de départ, et qu’il n’en soit plus question. Si son extinction de voix est une ruse de guerre, c’est du moins un acte de vertu. Peu d’actrices sacrifieraient une heure de succès à une vie d’amour conjugal. »

Consuelo, munie de tous les pouvoirs nécessaires, partit enfin, toujours malade, mais ne le sentant pas. Ici nous perdons encore le fil des événements. Le procès d’Albert eût pu être une cause célèbre, on en fit une cause secrète. Il est probable que ce fut un procès ana-