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rage et santé. Pars et reviens ! Le bon Dieu est avec les honnêtes gens. »

Consuelo, sans s’embarrasser de son congé, fit atteler des chevaux de poste à sa voiture. Mais, au moment d’y monter, elle fut retardée par le Porpora, qu’elle n’avait pas voulu voir, prévoyant bien l’orage, et qui s’effrayait de la voir partir. Il craignait, malgré les promesses qu’elle lui faisait d’un air contraint et préoccupé, qu’elle ne fût pas de retour pour l’opéra du lendemain.

« Qui diable songe à aller à la campagne au cœur de l’hiver ? disait-il avec un tremblement nerveux, moitié de vieillesse, moitié de colère et de crainte. Si tu t’enrhumes, voilà mon succès compromis, et cela allait si bien ! je ne te conçois pas. Nous triomphons hier, et tu voyages aujourd’hui ! »

Cette discussion fit perdre un quart d’heure à Consuelo, et donna le temps à la direction du théâtre, qui avait déjà l’éveil, de faire avertir l’autorité. Un piquet de houlans vint faire dételer. On pria Consuelo de rentrer, et on monta la garde autour de sa maison pour l’empêcher de fuir. La fièvre la prit. Elle ne s’en aperçut pas, et continua d’aller et de venir dans son appartement, en proie à une sorte d’égarement, et ne répondant que par des regards sombres et fixes aux irritantes interpellations du Porpora et du directeur. Elle ne se coucha point, et passa la nuit en prières. Le matin, elle parut calme, et alla à la répétition par ordre. Sa voix n’avait jamais été plus belle, mais elle avait des distractions qui terrifiaient le Porpora. « Ô maudit mariage ! Ô infernale folie d’amour ! » murmurait-il dans l’orchestre en frappant sur son clavecin de façon à le briser. Le vieux Porpora était toujours le même ; il eût dit volontiers : périssent tous les amants et tous les maris de la terre plutôt que mon opéra !