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La vie de cet époux, quoique marchant parallèlement à la sienne, car il l’accompagna dans tous ses voyages, est enveloppée de nuages plus épais. Il est à présumer qu’il ne se fit pas l’esclave de la fortune de sa femme, et qu’il ne s’adonna point au rôle de teneur de livres pour les recettes et les dépenses de sa profession. La profession de Consuelo lui fut d’ailleurs assez peu lucrative. Le public ne rétribuait pas alors les artistes avec la prodigieuse munificence qui distingue celui de notre temps. Les artistes s’enrichissaient principalement des dons des princes et des grands, et les femmes qui savaient tirer parti de leur position acquéraient déjà des trésors ; mais la chasteté et le désintéressement sont les plus grands ennemis de la fortune d’une femme de théâtre. Consuelo eut beaucoup de succès d’estime, quelques-uns d’enthousiasme, quand par hasard la perversité de son entourage ne s’interposa pas trop entre elle et le vrai public ; mais elle n’eut aucun succès de galanterie, et l’infamie ne la couronna point de diamants et de millions. Ses lauriers demeurèrent sans tache, et ne lui furent pas jetés sur la scène par des mains intéressées. Après dix ans de travail et de courses, elle n’était pas plus riche qu’à son point de départ, elle n’avait pas su spéculer, et, de plus, elle ne l’avait pas voulu : deux conditions moyennant lesquelles la richesse ne vient chercher malgré eux les travailleurs d’aucune classe. En outre, elle n’avait point mis en réserve le fruit souvent contesté de ses peines ; elle l’avait constamment employé en bonnes œuvres, et, dans une vie consacrée secrètement à une active propagande, ses ressources mêmes n’avaient pas toujours suffi ; le gouvernement central des Invisibles y avait quelquefois pourvu.

Quel fut le succès réel de l’ardent et infatigable pèlerinage qu’Albert et Consuelo poursuivirent à travers la