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emblèmes romanesques, renouvelés des antiques légendes de l’âge d’or de la chevalerie. Tout le monde sait que, d’après ces riantes fictions, le saint Graal était caché dans un sanctuaire mystérieux, au fond d’une grotte inconnue aux mortels. C’était là que les templistes, illustres saints du christianisme primitif, voués, dès ce monde, à l’immortalité, gardaient la coupe précieuse dont Jésus s’était servi pour consacrer le miracle de l’eucharistie, en faisant la pâque avec ses disciples. Cette coupe contenait, sans doute, la grâce céleste, figurée tantôt par le sang, tantôt par les larmes du Christ, une liqueur divine, enfin une substance eucharistique, sur la nature mystique de laquelle on ne s’expliquait pas, mais qu’il suffisait de voir pour être transformé au moral et au physique, pour être à jamais à l’abri de la mort et du péché. Les pieux paladins qui, après des vœux formidables, des macérations terribles et des exploits à faire trembler la terre, se vouaient à la vie ascétique du chevalier errant, avaient pour idéal de trouver le saint Graal au bout de leurs pérégrinations. Ils le cherchaient sous les glaces du Nord, sur les grèves de l’Armorique, au fond des forêts de la Germanie. Il fallait, pour réaliser cette sublime conquête, affronter des périls analogues à ceux du jardin des Hespérides, vaincre les monstres, les éléments, les peuples barbares, la faim, la soif, la mort même. Quelques-uns de ces Argonautes chrétiens découvrirent, dit-on, le sanctuaire, et furent régénérés par la divine coupe ; mais ils ne trahirent jamais ce secret terrible. On connut leur triomphe à la force de leur bras, à la sainteté de leur vie, à leurs armes invincibles, à la transfiguration de tout leur être ; mais ils survécurent peu, parmi nous, à une si glorieuse initiation ; ils disparurent d’entre les hommes, comme Jésus après sa