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où l’on se sent dans toute la plénitude de l’être, et où tous les rêves de l’enthousiasme semblent réalisés ou réalisables !

Enfin le ciel se teignit de pourpre et d’or ; une cloche argentine avertit les Invisibles que la nuit leur retirait ses voiles protecteurs. Ils chantèrent un dernier hymne au soleil levant, emblème du jour nouveau qu’ils rêvaient et préparaient pour le monde. Puis ils se firent de tendres adieux, se donnèrent rendez-vous, les uns à Paris, les autres à Londres, d’autres à Madrid, à Vienne, à Pétersbourg, à Varsovie, à Dresde, à Berlin. Tous s’engagèrent à se retrouver dans un an, à pareil jour, à la porte de ce temple béni, avec de nouveaux néophytes ou d’anciens frères maintenant absents. Puis ils croisèrent leurs manteaux pour cacher leurs élégants costumes, et se dispersèrent sans bruit sous les sentiers ombragés du parc.

Albert et Consuelo, guidés par Marcus, descendirent le ravin jusqu’au ruisseau ; Karl les reçut dans sa gondole fermée, et les conduisit au pavillon, sur le seuil duquel ils s’arrêtèrent un instant pour contempler la majesté de l’astre qui montait dans le ciel. Jusque-là Consuelo, en répondant aux discours passionnés d’Albert, lui avait toujours donné son nom véritable ; mais lorsqu’il l’arracha à la contemplation où elle semblait s’oublier, elle ne put que lui dire, en appuyant son front brûlant sur son épaule :

« Ô Liverani ! »