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cette belle aube dorée qui se levait sur la vie en même temps que dans le ciel, tout cela fut comme un rêve divin dans l’existence de Consuelo et d’Albert. Enlacés au bras l’un de l’autre, ils ne songeaient pas à s’éloigner de leurs frères chéris. Une ivresse morale, douce et suave comme l’air du matin, remplissait leur poitrine et leur âme. L’amour dilatait trop leur sein pour le faire tressaillir. Trenck racontait les souffrances de sa captivité à Glatz, et les dangers de sa fuite. Comme Consuelo et Haydn dans le Bœhmerwald, il avait voyagé à travers la Pologne, mais par un froid rigoureux, couvert de haillons, avec un compagnon blessé, l’aimable Shelles, que ses mémoires nous ont peint depuis comme le plus gracieux des amis. Il avait joué du violon pour avoir du pain, et servi de ménétrier aux paysans, comme Consuelo sur les rives du Danube. Puis il lui parlait tout bas de la princesse Amélie, de son amour et de ses espérances. Pauvre jeune Trenck ! l’épouvantable orage qui s’amassait sur sa tête, il ne le prévoyait pas plus que l’heureux couple, destiné à passer de ce beau songe d’une nuit d’été à une vie de combats, de déceptions et de souffrances !

Le Porporino chanta sous les cyprès un hymne admirable composé par Albert, à la mémoire des martyrs de leur cause ; le jeune Benda l’accompagna sur son violon ; Albert lui-même prit l’instrument, et ravit les auditeurs avec quelques notes. Consuelo ne put chanter, elle pleurait de joie et d’enthousiasme. Le comte de Saint-Germain raconta les entretiens de Jean Huss et de Jérôme de Prague avec tant de chaleur, d’éloquence et de vraisemblance, qu’en l’écoutant il était impossible de ne pas croire qu’il y eût assisté. Dans de telles heures d’émotion et de ravissement, la triste raison ne se défend pas des prestiges de la poésie. Le chevalier d’Éon peignit,