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— Et moi aussi, Albert, je ne saurais douter de moi-même ! Oh ! vous avez bien raison d’être tranquille ! »

Le jour commençait à poindre, et l’air pur du matin faisait monter mille senteurs exquises. On était dans les plus beaux jours de l’été. Les rossignols chantaient sous la feuillée, et se répondaient d’une colline à l’autre. Les groupes qui se formaient à chaque instant autour des deux époux, loin de leur être importuns, ajoutaient à leur pure ivresse les douceurs d’une amitié fraternelle, ou tout au moins des plus exquises sympathies. Tous les Invisibles présents à cette fête furent présentés à Consuelo, comme les membres de sa nouvelle famille. C’était l’élite des talents, des intelligences et des vertus de l’ordre : les uns illustres dans le monde du dehors, d’autres obscurs dans ce monde-là, mais illustres dans le temple par leurs travaux et leurs lumières. Plébéiens et patriciens étaient mêlés dans une tendre intimité. Consuelo dut apprendre leurs véritables noms et ceux plus poétiques qu’ils portaient dans le secret de leurs relations fraternelles : c’étaient Vesper, Ellops, Péon, Hylas, Euryale, Bellérophon, etc. Jamais elle ne s’était vue entourée d’un choix aussi nombreux d’âmes nobles et de caractères intéressants. Les récits qu’ils lui faisaient de leurs travaux de prosélytisme, des dangers qu’ils avaient affrontés et des résultats obtenus, la charmaient comme autant de poëmes dont elle n’aurait pas cru la réalité conciliable avec le train du monde insolent et corrompu qu’elle avait traversé. Ces témoignages d’amitié et d’estime qui allaient jusqu’à l’attendrissement et à l’effusion, et qui n’étaient pas entachés de la moindre banalité de galanterie, ni de la moindre insinuation de familiarité dangereuse, ce langage élevé, ce charme de relations où l’égalité et la fraternité étaient réalisées dans ce qu’elles peuvent avoir de plus sublime ;