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çant par les estimer et les aimer, ne demande qu’une charité sincère et le respect de la dignité humaine. Vous voyez cependant que ces braves gens ne sont encore initiés qu’à des grades inférieurs : c’est que nous consultons la portée de leur intelligence et leurs progrès dans la vertu pour les admettre plus ou moins dans nos mystères. Le vieux Matteus a deux grades de plus que Karl ; et s’il ne dépasse pas celui qu’il occupe maintenant, ce sera parce que son esprit et son cœur n’auront pas pu aller plus loin. Aucune bassesse d’extraction, aucune humilité de condition sociale ne nous arrêteront jamais ; et vous voyez ici Gottlieb le cordonnier, le fils du geôlier de Spandaw, admis à un grade égal au vôtre, bien que dans ma maison il remplisse, par goût et par habitude, des fonctions subalternes. Sa vive imagination, son ardeur pour l’étude, son enthousiasme pour la vertu, en un mot la beauté incomparable de l’âme qui habite ce vilain corps, l’ont rendu bien vite digne d’être traité comme un égal et comme un frère dans l’intérieur du temple. Il n’y avait presque rien à donner en fait d’idées et de vertus à ce noble enfant. Il en avait trop au contraire ; il fallait calmer en lui un excès d’exaltation, et le traiter des maladies morales et physiques qui l’eussent conduit à la folie. L’immoralité de son entourage et la perversité du monde officiel l’eussent irrité sans le corrompre ; mais nous seuls, armés de l’esprit de Jacques Bœhm et de la véritable explication de ses profonds symboles, nous pouvions le convaincre sans le désenchanter, et redresser les écarts de sa poésie mystique sans refroidir son zèle et sa foi. Vous devez remarquer que la cure de cette âme a réagi sur le corps, que sa santé est revenue comme par enchantement, et que sa bizarre figure est déjà transformée. »

Après le repas, on reprit les manteaux, et on se pro-