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nos institutions, et tu es resté libre comme l’oiseau dans les airs, capricieux comme la flamme sur l’autel. Tu sembles te rire de nos serments, de nos contrats et de notre volonté même. Tu nous fuis, en dépit de tout ce que nous avons inventé pour t’immobiliser dans nos moeurs. Tu n’habites pas plus le harem gardé par de vigilantes sentinelles, que la famille chrétienne placée entre la menace du prêtre, la sentence du magistrat, et le joug de l’opinion. D’où vient donc ton inconstance et ton ingratitude, ô mystérieux prestige, ô amour cruellement symbolisé sous les traits d’un dieu enfant et aveugle ? Quelle tendresse et quel mépris t’inspirent donc tour à tour ces âmes humaines que tu viens toutes embraser de tes feux, et que tu délaisses presque toutes, pour les laisser périr dans les angoisses du regret, du repentir, ou du dégoût plus affreux encore ? D’où vient qu’on t’invoque à genoux sur toute la face de notre globe, qu’on t’exalte et qu’on te défie, que les poëtes divins te chantent comme l’âme du monde, que les peuples barbares te sacrifient des victimes humaines en précipitant les veuves dans le bûcher des funérailles de l’époux, que les jeunes cœurs t’appellent dans leurs plus doux songes, et que les vieillards maudissent la vie quand tu les abandonnes à l’horreur de la solitude ? D’où vient ce culte tantôt sublime, tantôt fanatique, que l’on te décerne depuis l’enfance dorée de l’Humanité jusqu’à notre âge de fer, si tu n’es qu’une chimère, le rêve d’un moment d’ivresse, l’erreur de l’imagination exaltée par le délire des sens ? — Oh ! c’est que tu n’es pas un instinct vulgaire, un simple besoin de l’animalité ! Non, tu n’es pas l’aveugle enfant du papagisme ; tu es le fils du vrai Dieu et l’élément même de la Divinité ! Mais tu ne t’es encore révélé à nous qu’à travers les nuages de nos erreurs, et tu n’as pas voulu établir ta