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d’hommes exceptionnels la conception idéale d’une société future, diamétralement opposée à celle qui couvre et cache encore leur action dans l’histoire.

Un tel contraste est un des traits les plus saisissants de ce dix-huitième siècle, trop rempli d’idées et de travail intellectuel de tous les genres, pour que la synthèse ait pu en être déjà faite avec clarté et profit par les historiens philosophiques de nos jours. C’est qu’il y a là un amas de documents contradictoires et de faits incompris, insaisissables au premier abord, sources troublées par le tumulte du siècle, et qu’il faudrait épurer patiemment pour en retrouver le fond solide. Beaucoup de travailleurs énergiques sont restés obscurs, emportant dans la tombe le secret de leur mission : tant de gloires éclatantes absorbaient alors l’attention des contemporains ! tant de brillants travaux accaparent encore aujourd’hui l’examen rétrospectif des critiques ! Mais peu à peu la lumière sortira de ce chaos ; et si notre siècle arrive à se résumer lui-même, il résumera aussi la vie de son père le dix-huitième siècle, ce logogriphe immense, cette brillante nébuleuse, où tant de lâcheté s’oppose à tant de grandeur, tant de savoir à tant d’ignorance, tant de barbarie à tant de civilisation, tant de lumière à tant d’erreur, tant de sérieux à tant d’ivresse, tant d’incrédulité à tant de foi, tant de pédantisme savant à tant de moquerie frivole, tant de superstition à tant de raison orgueilleuse : cette période de cent ans, qui vit les règnes de madame de Maintenon et de madame de Pompadour : Pierre le Grand, Catherine II, Marie-Thérèse et la Dubarry ; Voltaire et Swedenborg, Kant et Mesmer, Jean-Jacques Rousseau et le cardinal Dubois, Schrœpfer et Diderot, Fénelon et Law, Zinzendorf et Leibnitz, Frédéric II et Robespierre, Louis XIV et Philippe-Égalité, Marie-Antoinette et Charlotte Corday,