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Mais, dans l’exercice de leur culte commun, la personne du prêtre était à jamais voilée, comme l’oracle des temps antiques.

Heureuse enfance des croyances naïves, aurore quasi fabuleuse des conspirations sacrées, que la nuit du mystère enveloppe, dans tous les temps, de poétiques incertitudes ! Bien qu’un siècle à peine nous sépare de l’existence de ces Invisibles, elle est problématique pour l’historien ; mais trente ans plus tard l’illuminisme reprit ces formes ignorées du vulgaire, et, puisant à la fois dans le génie inventif de ses chefs et dans la tradition des sociétés secrètes de la mystique Allemagne, il épouvanta le monde par la plus formidable et la plus savante des conjurations politiques et religieuses. Il ébranla un instant toutes les dynasties sur leurs trônes, et succomba à son tour, en léguant à la Révolution française comme un courant électrique d’enthousiasme sublime, de foi ardente et de fanatisme terrible. Un demi-siècle avant ces jours marqués par le destin, et tandis que la monarchie galante de Louis XV, le despotisme philosophique de Frédéric II, la royauté sceptique et railleuse de Voltaire, la diplomatie ambitieuse de Marie-Thérèse, et l’hérétique tolérance de Ganganelli, semblaient n’annoncer pour longtemps au monde que décrépitude, antagonisme, chaos et dissolution, la Révolution française fermentait à l’ombre et germait sous terre. Elle couvait dans des esprits croyants jusqu’au fanatisme, sous la forme d’un rêve de révolution universelle ; et pendant que la débauche, l’hypocrisie ou l’incrédulité régnaient officiellement sur le monde, une foi sublime, une magnifique révélation de l’avenir, des plans d’organisation aussi profonds et plus savants peut-être que notre fouriérisme et notre saint-simonisme d’aujourd’hui, réalisaient déjà dans quelques groupes