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et l’Église, voilà les grandes sources d’iniquités, voilà les forces vives de la destruction. Un soin austère, une sombre mais forte pensée a rassemblé dans une des salles de notre antique manoir une partie des instruments de torture inventés par la haine du fort contre le faible. La description n’en serait pas croyable, la vue peut à peine les comprendre, la pensée se refuse à les admettre. Et cependant ils ont fonctionné durant des siècles, ces hideux appareils, dans les châteaux royaux, comme dans les citadelles des petits princes, mais surtout dans les cachots du saint office ; que dis-je ? ils y fonctionnent encore, quoique plus rarement. L’Inquisition subsiste encore, torture encore ; et, en France, le plus civilisé de tous les pays, il y a encore des parlements de province qui brûlent de prétendus sorciers.

« D’ailleurs la tyrannie est-elle donc renversée ? Les rois et les princes ne ravagent-ils plus la terre ? La guerre ne porte-t-elle pas la désolation dans les opulentes cités, comme dans la chaumière du pauvre, au moindre caprice du moindre souverain ? La servitude n’est-elle pas encore en vigueur dans une moitié de l’Europe ? Les troupes ne sont-elles pas soumises encore presque partout au régime du fouet et du bâton ? Les plus beaux et les plus braves soldats du monde, les soldats prussiens, ne sont-ils pas dressés comme des animaux à coups de verge et de canne ? Le knout ne mène-t-il pas les serfs russes ? Les nègres ne sont-ils pas plus maltraités en Amérique que les chiens et les chevaux ? Si les forteresses des vieux barons sont démantelées et converties en demeures inoffensives, celles des rois ne sont-elles pas encore debout ? Ne servent-elles pas de prisons aux innocents plus souvent qu’aux coupables ? Et toi, ma sœur, toi la plus douce et la plus noble des femmes, n’as-tu pas été captive à Spandaw ?