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descendait en pente rapide. À sa droite et à sa gauche elle vit l’entrée de geôles étouffées sous la masse d’une architecture vraiment sépulcrale. Ces cachots étaient trop bas pour qu’on pût s’y tenir debout, et à peine assez longs pour que l’on pût s’y tenir couché. Ils semblaient l’œuvre des cyclopes, tant ils étaient fortement construits et ménagés avec art dans les massifs de la maçonnerie, comme pour servir de loges à quelques animaux farouches et dangereux. Mais Consuelo ne pouvait s’y tromper : elle avait vu les arènes de Vérone ; elle savait que les tigres et les ours réservés jadis aux amusements du cirque, aux combats de gladiateurs, étaient mieux logés mille fois. D’ailleurs, elle lisait sur les portes de fer, que ces cachots inexpugnables avaient été réservés aux princes vaincus, aux vaillants capitaines, aux prisonniers les plus importants et les plus redoutables par leur rang, leur intelligence ou leur énergie. Des précautions si formidables contre leur évasion témoignaient de l’amour ou du respect qu’ils avaient inspiré à leurs partisans. Voilà où était venu s’éteindre le rugissement de ces lions qui avaient fait tressaillir le monde à leur appel. Leur puissance et leur volonté s’étaient brisées contre un angle de mur ; leur poitrine herculéenne s’était desséchée à chercher l’aspiration d’un peu d’air, auprès d’une fente imperceptible, taillée en biseau dans vingt pieds de moellons. Leur regard d’aigle s’était usé à guetter une faible lueur dans d’éternelles ténèbres. C’est là qu’on enterrait vivants les hommes qu’on n’osait pas tuer au jour. Des têtes illustres, des cœurs magnanimes avaient expié là l’exercice, et sans doute aussi l’abus des droits de la force.

Après avoir erré quelque temps dans ces galeries obscures et humides qui s’enfonçaient sous le roc, Consuelo entendit un bruit d’eau courante qui lui rap-