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teau. C’est ici qu’on jetait ceux qui avaient expiré dans la geôle placée au-dessus, quand il n’y avait plus de place pour les nouveaux venus. C’est la cendre de vingt générations de victimes. Heureux et rares, les patriciens qui peuvent compter parmi leurs ancêtres vingt générations d’assassins et de bourreaux ! »

Consuelo fut moins épouvantée de l’aspect de ces objets funèbres qu’elle ne l’avait été dans la geôle par les suggestions de son propre esprit. Il y a quelque chose de trop grave et de trop solennel dans l’aspect de la mort même, pour que les faiblesses de la peur et les déchirements de la piété puissent obscurcir l’enthousiasme ou la sérénité des âmes fortes et croyantes. En présence de ces reliques la noble adepte de la religion d’Albert sentit plus de respect et de charité que d’effroi ou de consternation. Elle se mit à genoux devant la dépouille du martyr, et, sentant revenir ses forces morales, elle s’écria en baisant cette main décharnée :

« Oh ! ce n’est pas l’auguste spectacle d’une glorieuse destruction qui peut faire horreur ou pitié ! c’est plutôt l’idée de la vie en lutte avec les tourments de l’agonie. C’est la pensée de ce qui a dû se passer dans ces âmes désolées, qui remplit d’amertume et de terreur la pensée des vivants ! Mais toi, malheureuse victime, morte debout, et la tête tournée vers le ciel, tu n’es point à plaindre, car tu n’as point faibli, et ton âme s’est exhalée dans un transport de ferveur qui me remplit de vénération. »

Consuelo se leva lentement et détacha avec une sorte de calme son voile de mariée qui s’était accroché aux ossements de la femme agenouillée à ses côtés. Une porte étroite et basse venait de s’ouvrir devant elle. Elle reprit sa lampe, et, soigneuse de ne pas se retourner, elle entra dans un couloir étroit et sombre qui