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solides, témoignage de la jeunesse et de la force brusquement brisées par une mort violente. Quelques squelettes presque entiers avaient été retirés de cette poussière, et dressés contre les murs. Il y en avait un parfaitement conservé, debout et enchaîné par le milieu du corps, comme s’il eût été condamné à périr là sans pouvoir se coucher. Son corps, au lieu de se courber et de tomber en avant, plié et disloqué, s’était roidi, ankylosé, et rejeté en arrière dans une attitude de fierté superbe et d’implacable dédain. Les ligaments de sa charpente et de ses membres s’étaient ossifiés. Sa tête, renversée, semblait regarder la voûte, et ses dents, serrées par une dernière contraction des mâchoires, paraissaient rire d’un rire terrible, ou d’un élan de fanatisme sublime. Au-dessus de lui, son nom et son histoire étaient écrits en gros caractères rouges sur la muraille. C’était un obscur martyr de la persécution religieuse, et la dernière des victimes immolées dans ce lieu. À ses pieds était agenouillé un squelette dont la tête, détachée des vertèbres, gisait sur le pavé, mais dont les bras roidis tenaient encore embrassés les genoux du martyr : c’était sa femme. L’inscription portait, entre autres détails :

« N *** a péri ici avec sa femme, ses trois frères et ses deux enfants, pour n’avoir pas voulu abjurer la foi de Luther, et pour avoir persisté, jusque dans les tortures, à nier l’infaillibilité du pape. Il est mort debout et desséché, pétrifié en quelque sorte, et sans pouvoir regarder à ses pieds sa famille agonisante sur la cendre de ses amis et de ses pères. »

En face de cette inscription, on lisait celle-ci :

« Néophyte, le sol friable que tu foules est épais de vingt pieds. Ce n’est ni du sable, ni de la terre, c’est de la poussière humaine. Ce lieu était l’ossuaire du châ-