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de ce cachot, mais quel pouvait avoir été l’usage d’une pareille construction. Des idées sinistres qu’elle repoussa d’abord lui vinrent à l’esprit ; mais bientôt ces idées furent confirmées par la lecture de l’inscription qu’elle lut en marchant lentement et en promenant sa lampe à la hauteur des caractères.

« Contemple la beauté de ces murailles assises sur le roc, épaisses de vingt-quatre pieds, et debout depuis mille ans, sans que ni les assauts de la guerre, ni l’action du temps, ni les efforts de l’ouvrier aient pu les entamer ! Ce chef-d’œuvre de maçonnerie architecturale a été élevé par les mains des esclaves, sans doute pour enfouir les trésors d’un maître magnifique. Oui ! pour enfouir dans les entrailles du rocher, dans les profondeurs de la terre, des trésors de haine et de vengeance. Ici ont péri, ici ont souffert, ici ont pleuré, rugi et blasphémé vingt générations d’hommes, innocents pour la plupart, quelques-uns héroïques ; tous victimes ou martyrs : des prisonniers de guerre, des serfs révoltés ou trop écrasés de taxes pour en payer de nouvelles, des novateurs religieux, des hérétiques sublimes, des infortunés, des vaincus, des fanatiques, des saints, des scélérats aussi, hommes dressés à la férocité des camps, à la loi de meurtre et de pillage, soumis à leur tour à d’horribles représailles. Voilà les catacombes de la féodalité, du despotisme militaire ou religieux. Voilà les demeures que les hommes puissants ont fait construire par des hommes asservis, pour étouffer les cris et cacher les cadavres de leurs frères vaincus et enchaînés. Ici, point d’air pour respirer, pas un rayon de jour, pas une pierre pour reposer sa tête ; seulement des anneaux de fer scellés au mur pour passer le bout de la chaîne des prisonniers, et les empêcher de choisir une place pour reposer sur le sol