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un symbole sans grandeur et sans intérêt ; mais pourquoi la fable est-elle si mal tissue ou d’une interprétation si captieuse ?

— Qu’entends-tu par là ? As-tu bien écouté ce récit que tu traites de fable ?

— Voici ce que j’ai entendu et ce qu’auparavant j’avais appris dans les livres qu’on m’a ordonné de méditer durant ma retraite : Hiram, conducteur des travaux du temple de Salomon, avait divisé les ouvriers par catégories. Ils avaient un salaire différent, des droits inégaux. Trois ambitieux de la plus basse catégorie résolurent de participer au salaire réservé à la classe rivale, et d’arracher à Hiram le mot d’ordre, la formule secrète qui lui servait à distinguer les compagnons des maîtres, à l’heure solennelle de la répartition. Ils le guettèrent dans le temple où il était resté seul après cette cérémonie, et se postant à chacune des trois issues du saint lieu, ils l’empêchèrent de sortir, le menacèrent, le frappèrent cruellement et l’assassinèrent sans avoir pu lui arracher son secret, le mot fatal qui devait les rendre égaux à lui et à ses privilégiés. Puis ils emportèrent son cadavre et l’ensevelirent sous des décombres ; et depuis ce jour, les fidèles adeptes du temple, les amis d’Hiram pleurent son destin funeste, cherchant sa parole sacrée, et rendant des honneurs presque divins à sa mémoire.

— Et maintenant, comment expliques-tu ce mythe ?

— Je l’ai médité avant de venir ici, et voici comment je le comprends. Hiram, c’est l’intelligence froide et l’habileté gouvernementale des antiques sociétés ; elles reposent sur l’inégalité des conditions, sur le régime des castes. Cette fable égyptienne convenait au despotisme mystérieux des hiérophantes. Les trois ambitieux, c’est l’indignation, la révolte et la vengeance ; ce sont peut-être les trois castes inférieures à la caste sacerdotale qui