Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187

lance et une couronne d’épines se dressait au milieu de la salle. Des personnages vêtus de noir et masqués étaient agenouillés ou assis à l’entour sur des tapis semés de larmes d’argent ; ils ne pleuraient ni ne gémissaient ; leur attitude était celle d’une méditation austère, ou d’une douleur muette et profonde.

Les guides de Consuelo la firent approcher jusqu’auprès du cercueil, et les hommes qui le gardaient s’étant levés et rangés à l’autre extrémité, l’un d’eux lui parla ainsi :

« Consuelo, tu viens de voir la cérémonie d’une réception maçonnique. Tu as vu, là comme ici, un culte inconnu, des signes mystérieux, des images funèbres, des pontifes initiateurs, un cercueil. Qu’as-tu compris à cette scène simulée, à ces épreuves effrayantes pour le récipiendaire, aux paroles qui lui ont été adressées, et à ces manifestations de respect, d’amour et de douleur autour d’une tombe illustre ?

— J’ignore si j’ai bien compris, répondit Consuelo. Cette scène me troublait ; cette cérémonie me semblait barbare. Je plaignais ce récipiendaire, dont le courage et la vertu étaient soumis à des épreuves toutes matérielles, comme s’il suffisait du courage physique pour être initié à l’œuvre du courage moral. Je blâme ce que j’ai vu, et déplore ces jeux cruels d’un sombre fanatisme, ou ces expériences puériles d’une foi tout extérieure et idolâtrique. J’ai entendu proposer des énigmes obscures, et l’explication qu’en a donnée le récipiendaire m’a paru dictée par un catéchisme méfiant ou grossier. Cependant cette tombe sanglante, cette victime immolée, cet antique mythe d’Hiram, architecte divin assassiné par les travailleurs jaloux et cupides, ce mot sacré perdu pendant des siècles, et promis à l’initié comme la clef magique qui doit lui ouvrir le temple, tout cela ne me paraît pas