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oreilles. Matteus lui avait peut-être trop parlé ; il avait murmuré un peu contre la disparition de Liverani : c’en était assez probablement pour qu’on lui fît partager son sort.

Ces nouvelles anxiétés empêchèrent Consuelo de sentir le malaise de la faim. Cependant la soirée s’avançait, Matteus ne paraissait pas ; elle se risqua à sonner. Personne ne vint. Elle éprouvait une grande faiblesse, et surtout une grande consternation. Appuyée sur le bord de sa croisée, la tête dans ses mains, elle repassait dans son cerveau, déjà un peu troublé par les souffrances de l’inanition, les incidents bizarres de sa vie, et se demandait si c’était le souvenir de la réalité ou celui d’un long rêve, lorsqu’une main froide comme le marbre s’appuya sur sa tête, et une voix basse et profonde prononça ces mots :

« Ta demande est accueillie, suis-moi. »

Consuelo, qui n’avait pas encore songé à éclairer son appartement, mais qui avait, jusque-là, nettement distingué les objets dans le crépuscule, essaya de regarder celui qui lui parlait ainsi. Elle se trouvait tout à coup dans d’aussi épaisses ténèbres que si l’atmosphère était devenue compacte, et le ciel étoilé une voûte de plomb. Elle porta la main à son front privé d’air, et reconnut un capuchon à la fois léger et impénétrable comme celui que Cagliostro lui avait jeté une fois sur la tête sans qu’elle le sentît. Entraînée par une main invisible, elle descendit l’escalier du pavillon ; mais elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait plus de degrés qu’elle ne lui en connaissait, et qu’il s’enfonçait dans des caves où elle marcha pendant près d’une demi-heure. La fatigue, la faim, l’émotion et une chaleur accablante ralentissaient de plus en plus ses pas, et, à chaque instant prête à défaillir, elle fut tentée de demander grâce. Mais une