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Consuelo émue de revoir un visage connu après une si longue réclusion parmi des êtres mystérieux, puis-je espérer que rien ne trouble le plaisir que tu as de me retrouver ?

— Rien ! signora, répondit Karl d’une voix assurée ; rien, si ce n’est le souvenir de celle… qui n’est plus de ce monde, et que je crois toujours voir à côté de vous. Courage et contentement, ma bonne maîtresse, ma bonne sœur ! nous voici comme la nuit où nous nous évadions de Spandaw !

— C’est aussi un jour de délivrance, frère ! dit Marcus. Allons, vogue avec l’adresse et la vigueur dont tu es doué, et qu’égalent maintenant la prudence de ta langue et la force de ton âme. Ceci ressemble en effet à une fuite, madame, ajouta-t-il en s’adressant à Consuelo ; mais le principal libérateur n’est plus le même… »

En prononçant ces derniers mots, Marcus lui présentait la main pour l’aider à s’asseoir sur le banc garni de coussins. Il la sentit trembler légèrement au souvenir de Liverani, et la pria de se couvrir le visage pour quelques instants seulement. Consuelo obéit, et la gondole, emportée par le bras robuste du déserteur, glissa rapidement sur les eaux sombres et muettes.

Au bout d’un trajet dont la durée ne put guère être appréciée par la pensive Consuelo, elle entendit un bruit de voix et d’instruments à quelque distance ; la barque se ralentit, et reçut sans s’arrêter tout à fait les légères secousses d’un atterrissement. Le capuchon tomba doucement, et la néophyte crut passer d’un rêve dans un autre, en contemplant le spectacle féerique offert à ses regards. La barque côtoyait, en l’effleurant, une rive aplanie, jonchée de fleurs et de frais herbages. L’eau du ruisseau, élargie et immobile dans un vaste bassin, était comme embrasée, et reflétait des colonnades de lumières