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stein, appelé le Hussite, témoin et complice jadis des plus horribles catastrophes.

« Albert vit tomber son parent et quitta Zdenko pour courir vers le bord de l’abîme. Il vit alors les gens du baron qui s’empressaient à le relever en remplissant l’air de leurs gémissements, car il ne donnait plus signe de vie. Albert entendit ces mots s’élever jusqu’à lui : « Il est mort, notre pauvre maître ! Hélas ! que va dire madame la chanoinesse ! » Albert ne songeait plus à lui-même, il cria, il appela. Aussitôt qu’on l’eut aperçu, une terreur panique s’empara de ces crédules serviteurs. Ils abandonnaient déjà le corps de leur maître pour fuir, lorsque le vieux Hanz, le plus superstitieux et aussi le plus courageux de tous, les arrêta et leur dit en faisant le signe de la croix :

« — Mes enfants, ce n’est pas notre maître Albert qui nous apparaît. C’est l’esprit du Schreckenstein qui a pris sa figure pour nous faire tous périr ici, si nous sommes lâches. Je l’ai bien vu, c’est lui qui a fait tomber monsieur le baron. Il voudrait emporter son corps pour le dévorer, c’est un vampire ! Allons ! du cœur, mes enfants. On dit que le diable est poltron. Je vais le coucher en joue ; pendant ce temps, dites la prière d’exorcisme de monsieur le chapelain. »

« En parlant ainsi, Hanz, ayant fait encore plusieurs signes de croix, leva son fusil et tira sur Albert, tandis que les autres valets se serraient autour du cadavre du baron. Heureusement Hanz était trop ému et trop épouvanté pour viser juste : il agissait dans une sorte de délire. La balle siffla néanmoins sur la tête d’Albert, car Hanz était le meilleur tireur de toute la contrée, et, s’il eût été de sang-froid, il eût infailliblement tué mon fils. Albert s’arrêta irrésolu.

« — Courage, enfants, courage ! cria Hanz en rechar-