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qui nous promettait un prompt retour. Son absence fut courte en effet ; mais qu’il en rapporta de douleurs !

« Couvert d’un déguisement, il pénétra en Bohême, et alla surprendre le solitaire Zdenko dans la grotte du Schreckenstein. De là il voulait écrire à ses parents pour leur faire connaître la vérité, et pour les préparer à la commotion de son retour. Il connaissait Amélie pour la plus courageuse en même temps que la plus frivole, et c’était à elle qu’il comptait envoyer sa première missive par Zdenko. Au moment de le faire, et comme Zdenko était sorti sur la montagne, c’était à l’approche de l’aube, il entendit un coup de fusil et un cri déchirant. Il s’élance dehors, et le premier objet qui frappe ses yeux, c’est Zdenko rapportant dans ses bras Cynabre ensanglanté. Courir vers son pauvre vieux chien, sans songer à se cacher le visage, fut le premier mouvement d’Albert ; mais comme il rapportait l’animal fidèle, blessé à mort, vers l’endroit appelé la Cave du moine, il vit accourir vers lui autant que le permettaient la vieillesse et l’obésité, un chasseur jaloux de ramasser sa proie. C’était le baron Frédéric qui, chassant à l’affût, aux premières clartés du matin, avait pris, dans le crépuscule, la robe fauve de Cynabre pour le poil d’une bête sauvage. Il l’avait visé à travers les branches. Hélas ! il avait encore le coup d’œil juste et la main sûre, il l’avait touché, il lui avait mis deux balles dans le flanc. Tout à coup il aperçut Albert, et, croyant voir un spectre, il s’arrêta glacé de terreur. N’ayant plus conscience d’aucun danger réel, il recula jusqu’au bord du sentier escarpé qu’il côtoyait, et roula dans un précipice où il tomba brisé sur les rochers. Il expira sur le coup, à la place fatale où s’était élevé, pendant des siècles, l’arbre maudit, le fameux chêne du Schrecken-