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« À ce moment, Albert, qui s’était montré légèrement ému à l’audition des chants de notre vieille Bohême, se jeta dans mes bras en fondant en larmes, et en s’écriant : « Ô ma mère ! ô ma mère ! »

« Marcus fit cesser la musique, il était content de l’émotion produite ; il ne voulait pas en abuser pour une première fois. Albert avait parlé, il m’avait reconnue, il avait retrouvé la force d’aimer. Bien des jours se passèrent encore avant que son esprit eût recouvré toute sa liberté. Il n’eut cependant aucun accès de délire. Lorsqu’il paraissait fatigué de l’exercice de ses facultés, il retombait dans un morne silence ; mais insensiblement sa physionomie prenait une expression moins sombre, et peu à peu nous combattîmes avec douceur et ménagement cette disposition taciturne. Enfin nous eûmes le bonheur de voir disparaître en lui ce besoin de repos intellectuel, et il n’y eut plus de suspension dans le travail de sa pensée qu’aux heures d’un sommeil régulier, paisible, et à peu près semblable à celui des autres hommes ; Albert retrouva la conscience de sa vie, de son amour pour vous et pour moi, de sa charité et de son enthousiasme pour ses semblables et pour la vertu, de sa foi, et de son besoin de la faire triompher. Il continua de vous chérir sans amertume, sans méfiance, et sans regret de tout ce qu’il avait souffert pour vous. Mais, malgré le soin qu’il prit de nous rassurer et nous montrer son courage et son abnégation, nous vîmes bien que sa passion n’avait rien perdu de son intensité. Il avait acquis seulement plus de force morale et physique pour la supporter ; nous ne cherchâmes point à la combattre. Loin de là, nous unissions nos efforts, Marcus et moi, pour lui donner de l’espérance, et nous résolûmes de vous instruire de l’existence de cet époux dont vous portiez le deuil religieusement, non pas sur vos vête-