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— Et que devient Zdenko ? demanda la jeune comtesse de Rudolstadt.

— Zdenko faillit nous perdre par son obstination à empêcher notre départ, ou du moins celui d’Albert, dont il ne voulait pas se séparer, et qu’il ne voulait pas suivre. Il persistait à s’imaginer qu’Albert ne pouvait pas vivre hors de la fatale et lugubre demeure du Schreckenstein. « Ce n’est que là, disait-il, que mon Podiebrad est tranquille ; ailleurs on le tourmente, on l’empêche de dormir, on le force à renier nos pères du Mont-Tabor, et à mener une vie de honte et de parjure qui l’exaspère. Laissez-le moi ici ; je le soignerai bien, comme je l’y ai si souvent soigné. Je ne troublerai pas ses méditations ; quand il voudra rester silencieux, je marcherai sans faire de bruit, et je tiendrai le museau de Cynabre des heures entières dans mes mains, pour qu’il n’aille pas le faire tressaillir en léchant la sienne ; quand il voudra se réjouir, je lui chanterai les chansons qu’il aime, je lui en composerai de nouvelles qu’il aimera encore, car il aimait toutes mes compositions, et lui seul les comprenait. Laissez-moi mon Podiebrad, vous dis-je. Je sais mieux que vous ce qui lui convient, et quand vous voudrez encore le voir, vous le trouverez jouant du violon ou plantant de belles branches de cyprès, que j’irai lui couper dans la forêt, pour orner le tombeau de sa mère bien-aimée. Je le nourrirai bien, moi ! Je sais toutes les cabanes où on ne refuse jamais ni le pain, ni le lait, ni les fruits au bon vieux Zdenko, et il y a longtemps que les pauvres paysans du Bœhmer-Wald sont habitués à nourrir, à leur insu, leur noble maître, le riche Podiebrad. Albert n’aime point les festins où l’on mange la chair des animaux ; il préfère la vie d’innocence et de simplicité. Il n’a pas besoin de voir le soleil, il préfère le rayon de la lune à travers les bois ;