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desquelles la sienne recouvrera sa clarté et sa vigueur. »

« Pouvais-je hésiter ? En errant avec précaution au déclin du jour dans les environs du Schreckenstein, où je feignais de demander l’aumône aux rares passants des chemins, j’avais appris que le comte Christian était tombé dans une sorte d’enfance. Il n’eût pas compris le retour de son fils, et le spectacle de cette mort anticipée, si Albert l’eût comprise à son tour, eût achevé de l’accabler. Fallait-il donc le rendre et l’abandonner aux soins malentendus de cette vieille tante, de cet ignare chapelain et de cet oncle abruti, qui l’avaient fait si mal vivre et si tristement mourir ? « — Ah ! fuyons avec lui, disais-je enfin à Marcus ; qu’il n’ait pas sous les yeux l’agonie de son père, et le spectacle effrayant de l’idolâtrie catholique dont on entoure le lit des mourants ; mon cœur se brise en songeant que cet époux, qui ne m’a pas comprise, mais dont j’ai vénéré toujours les vertus simples et pures, et que j’ai respecté depuis mon abandon aussi religieusement que durant mon union avec lui, va quitter la terre sans qu’il nous soit possible d’échanger un mutuel pardon. Mais, puisqu’il le faut, puisque mon apparition et celle de son fils ne pourraient que lui être indifférentes ou funestes, partons, ne rendons pas à cette tombe de Riesenburg celui que nous avons reconquis sur la mort, et à qui la vie ouvre encore, je l’espère, un chemin sublime. Ah ! suivons le premier mouvement qui nous a fait venir ici ! Arrachons Albert à la captivité des faux devoirs que créent le rang et la richesse ; ces devoirs seront toujours des crimes à ses yeux, et s’il s’obstine à les remplir pour complaire à des parents que la vieillesse et la mort lui disputent déjà, il mourra lui-même à la peine, il mourra le premier. Je sais ce que j’ai souffert dans cet esclavage de la pensée, dans cette mortelle et incessante contradic-