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les disait point ; peut-être ne se les rappelait-il pas quand leur amertume était dissipée.

« Il y vécut encore un an dans une alternative de calme et de transport, de force exubérante et d’affaissement douloureux. Il nous écrivait quelquefois, sans nous dire ses souffrances et le dépérissement de sa santé. Il combattait amèrement notre marche politique. Il voulait qu’on cessât dès lors de travailler dans l’ombre et de tromper les hommes pour leur faire avaler la coupe de la régénération.

« — Jetez vos masques noirs, disait-il, sortez de vos cavernes. Effacez du fronton de votre temple le mot mystère, que vous avez volé à l’Église romaine, et qui ne convient pas aux hommes de l’avenir. Ne voyez-vous pas que vous avez pris les moyens de l’ordre des jésuites ? Non, je ne puis pas travailler avec vous ; c’est chercher la vie au milieu des cadavres. Paraissez enfin à la lumière du jour. Ne perdez pas un temps précieux à organiser votre armée. Comptez un peu plus sur son élan, et sur la sympathie des peuples, et sur la spontanéité des instincts généreux. Une armée d’ailleurs se corrompt dans le repos, et la ruse qu’elle emploie à s’embusquer lui ôte la puissance et la vie nécessaire pour combattre. »

« Albert avait raison en principe ; mais le moment n’était pas venu pour qu’il eût raison dans la pratique. Ce moment est peut-être encore loin !

« Vous vîntes enfin à Riesenburg ; vous le surprîtes au milieu des plus grandes détresses de son âme. Vous savez, ou plutôt vous ne savez pas, quelle action vous avez eue sur lui, jusqu’à lui faire oublier tout ce qui n’était pas vous, jusqu’à lui donner une vie nouvelle, jusqu’à lui donner la mort.

« Quand il crut que tout était fini entre vous et lui, toutes ses forces l’abandonnèrent, il se laissa dépérir.