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qu’il ne dût pas me revoir bientôt, et resserrer avec Marcus les liens de l’association qui le réclamait. Albert avait peu la notion du temps, et encore moins l’appréciation des éventualités matérielles de la vie.

« — Est-ce que nous nous quittons ? me disait-il en me voyant pleurer malgré moi ; nous ne pouvons pas nous quitter. Toutes les fois que je vous ai appelée au fond de mon cœur, vous m’êtes apparue. Je vous appellerai encore.

« — Albert, Albert ! lui répondis-je, je ne puis pas te suivre cette fois où tu vas.

« Il pâlit et se serra contre moi comme un enfant effrayé. Le moment était venu de lui révéler mon secret :

« — Je ne suis pas l’âme de ta mère, lui dis-je après quelque préambule ; je suis ta mère elle-même.

« — Pourquoi me dites-vous cela ? reprit-il avec un sourire étrange ; est-ce que je ne le savais pas ? Est-ce que nous ne nous ressemblons pas ? Est-ce que je n’ai pas vu votre portrait à Riesenburg ? Est-ce que je vous avais oubliée, d’ailleurs ? Est-ce que je ne vous avais pas toujours vue, toujours connue ?

« — Et tu n’étais pas surpris de me voir vivante, moi que l’on croit ensevelie dans la chapelle du château des Géants ?

« — Non, me répondit-il, je n’étais pas surpris ; j’étais trop heureux pour cela. Dieu a le pouvoir des miracles, et ce n’est point aux hommes de s’en étonner. »

« L’étrange enfant eut plus de peine à comprendre les effrayantes réalités de mon histoire que le prodige dont il s’était bercé. Il avait cru à ma résurrection comme à celle du Christ ; il avait pris à la lettre mes doctrines sur la transmission de la vie ; il y croyait avec excès, c’est-à-dire qu’il ne s’étonnait pas de me voir conserver le souvenir et la certitude de mon individualité, après