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l’étude et la méditation, il tenait son gouverneur en respect par le sérieux de son caractère et la froideur de son maintien. L’abbé en vint donc à le considérer comme un triste pédant, et à s’éloigner de lui le plus possible, pour ne s’occuper que des intrigues de son ordre. Albert fit même d’assez longues résidences en France et en Angleterre sans qu’il l’accompagnât ; il était souvent à cent lieues de lui, et se bornait à lui donner rendez-vous lorsqu’il voulait voir une autre contrée : encore souvent ne voyagèrent-ils pas ensemble. À ces époques j’eus la plus grande liberté de voir mon fils, et sa tendresse exclusive me paya au centuple des soins que je lui rendais. Ma santé s’était raffermie. Ainsi qu’il arrive parfois aux constitutions profondément altérées de se faire une habitude de leurs maux et de ne les plus sentir, je ne m’apercevais presque plus des miens. La fatigue, les veilles, les longs entretiens, les courses pénibles, au lieu de m’abattre, me soutenaient dans une fièvre lente et continue, qui était devenue et qui est restée mon état normal. Frêle et tremblante comme vous me voyez, il n’est plus de travaux et de lassitudes que je ne puisse supporter mieux que vous, belle fleur du printemps. L’agitation est devenue mon élément, et je m’y repose en marchant toujours, comme ces courriers de profession qui ont appris à dormir en galopant sur leur cheval.

« Cette expérimentation de ce que peut supporter et accomplir une âme énergique dans un corps maladif, m’a rendue plus confiante en la force d’Albert. Je me suis accoutumée à le voir parfois languissant et brisé comme moi, animé et fébrile comme moi à d’autres heures. Nous avons souvent souffert ensemble des mêmes douleurs physiques, résultat des mêmes émotions morales ; et jamais peut-être notre intimité n’a été plus douce et