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« — J’ignore qui est ta mère, repris-je effrayée de mon imprudence. Je sais seulement ton nom, parce que les pauvres le connaissent déjà. D’où vient que je t’effraie ? Ta mère est donc morte ?

« — Ils disent qu’elle est morte, répondit-il ; mais ma mère n’est pas morte pour moi.

« — Où vit-elle donc ?

« — Dans mon cœur, dans ma pensée, continuellement, éternellement. J’ai rêvé sa voix, j’ai rêvé ses traits, cent fois, mille fois. »

« Je fus effrayée autant que charmée de cette impérieuse expansion qui le portait ainsi vers moi. Mais je voyais en lui des signes d’égarement. Je vainquis ma tendresse pour le calmer.

« — Albert, lui dis-je, j’ai connu votre mère ; j’ai été son amie. J’ai été chargée par elle de vous parler d’elle un jour, quand vous seriez en âge de comprendre ce que j’ai à vous dire. Je ne suis pas ce que je parais. Je ne vous ai suivie hier et aujourd’hui que pour avoir l’occasion de m’entretenir avec vous. Écoutez-moi donc avec calme, et ne vous laissez pas troubler par de vaines superstitions. Voulez-vous me suivre sous les arcades des Procuraties, qui sont maintenant désertes, et causer avec moi ? Vous sentez-vous assez tranquille, assez recueilli pour cela ?

« — Vous, l’amie de ma mère ! s’écria-t-il. Vous, chargée par elle de me parler d’elle ? Oh ! oui, parlez, parlez ; vous voyez bien que je ne me trompais pas, qu’une voix intérieure m’avertissait ! Je sentais qu’il y avait quelque chose d’elle en vous. Non, je ne suis pas superstitieux, je ne suis pas insensé ; seulement j’ai le cœur plus vivant et plus accessible que bien d’autres à certaines choses que les autres ne comprennent pas et ne sentent pas. Vous comprendrez cela, vous, si vous