Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126

faible don ? Sans doute vous êtes bien malheureuse, et je vous ai donné trop peu. Que vous faut-il pour ne plus souffrir ? Parlez. Je veux vous consoler ; j’espère que je le pourrai. »

« Et il prit dans ses mains, sans le regarder, tout l’or qu’il avait sur lui.

« — Tu m’as assez donné, bon jeune homme, lui répondis-je ; je suis satisfaite.

« — Mais pourquoi pleurez-vous, me dit-il, frappé des sanglots qui étouffaient ma voix : vous avez donc quelque chagrin auquel ma richesse ne peut remédier ?

« — Non, repris-je, je pleure d’attendrissement et de joie.

« — De joie ! Il y a donc des larmes de joie ? et de telles larmes pour une pièce d’or ! Ô misère humaine ! Femme, prends tout le reste, je t’en prie ; mais ne pleure pas de joie. Songe à tes frères les pauvres, si nombreux, si avilis, si misérables, et que je ne puis pas soulager tous ! »

« Il s’éloigna en soupirant. Je n’osai pas le suivre, de peur de me trahir. Il avait laissé son or sur le pavé, en me le tendant avec une sorte de hâte de s’en débarrasser. Je le ramassai, et j’allai le mettre dans le tronc aux aumônes, afin de satisfaire la noble charité de mon fils. Le lendemain, je l’épiai encore, et je le vis entrer à Saint-Marc ; j’avais résolu d’être plus forte et plus calme, je le fus. Nous étions encore seuls, dans la demi-obscurité de l’église. Il rêva encore longtemps, et tout à coup je l’entendis murmurer d’une voix profonde en se relevant :

« — Ô Christ ! ils te crucifient tous les jours de leur vie !

« — Oui ! lui répondis-je, lisant à moitié dans sa pensée, les pharisiens et les docteurs de la loi ! »