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est résulté un événement fâcheux… Mais je crains de causer quelque chagrin à Madame en le lui apprenant.

— Je crois maintenant le chagrin préférable à l’ennui et à l’inquiétude. Dites donc vite, monsieur Matteus ?

— Eh bien, madame, j’ai vu conduire en prison, ce matin, le plus aimable, le plus jeune, le plus beau, le plus brave, le plus généreux, le plus spirituel, le plus grand de tous mes maîtres, le chevalier de Liverani.

— Liverani ? Qui s’appelle Liverani ? s’écria Consuelo, vivement émue. En prison, le chevalier ? Dites-moi !… Oh ! mon Dieu ! quel est ce chevalier, quel est ce Liverani ?

— Je l’ai assez désigné à Madame. J’ignore si elle le connaît peu ou beaucoup ; mais, ce qu’il y a de certain, c’est qu’il a été conduit à la grosse tour pour avoir parlé et écrit à Madame, et pour n’avoir pas voulu faire connaître à Son Altesse la réponse que Madame lui a faite.

— La grosse tour… Son Altesse… tout ce que vous me dites là est-il sérieux, Matteus ? Suis-je ici sous la dépendance d’un prince souverain qui me traite en prisonnière d’État, et qui châtie ses sujets, pour peu qu’ils me témoignent quelque intérêt et quelque pitié ? Ou bien suis-je mystifiée par quelque riche seigneur à idées bizarres, qui essaie de m’effrayer afin d’éprouver ma reconnaissance pour les services rendus ?

— Il ne m’est point défendu de dire à Madame qu’elle est en même temps chez un prince fort riche, chez un homme d’esprit grand philosophe…

— Et chez le chef suprême du conseil des Invisibles ? ajouta Consuelo.

— J’ignore ce que Madame entend par là, répondit Matteus avec la plus complète indifférence. Dans la liste