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coin ; je m’y glissai avec lui : je me cachai derrière une tombe. L’église était déserte ; l’obscurité devenait à chaque instant plus profonde. Albert était immobile comme une statue. Cependant il paraissait plongé dans la rêverie plutôt que dans la prière. La lampe du sanctuaire éclairait faiblement ses traits. Il était si pâle ! j’en fus effrayée. Son œil fixe, ses lèvres entr’ouvertes, je ne sais quoi de désespéré dans son attitude et dans sa physionomie, me brisèrent le cœur ; je tremblais comme la flamme vacillante de la lampe. Il me semblait que si je me révélais à lui en cet instant, il allait tomber anéanti. Je me rappelai tout ce que Marcus m’avait dit de sa susceptibilité nerveuse et du danger des brusques émotions sur une organisation aussi impressionnable. Je sortis pour ne pas céder aux élans de mon amour. J’allai l’attendre sous le portique. J’avais jeté sur mes vêtements, d’ailleurs fort simples et fort sombres, une mante brune dont le capuchon cachait mon visage et me donnait l’aspect d’une femme du peuple de ce pays. Lorsqu’il sortit, je fis involontairement un pas vers lui ; il s’arrêta, et, me prenant pour une mendiante, il prit au hasard une pièce d’or dans sa poche, et me la présenta. Oh ! avec quel orgueil et quelle reconnaissance je reçus cette aumône ! Tenez, Consuelo, c’est un sequin de Venise ; je l’ai fait percer pour y passer une chaîne, et je le porte toujours sur mon sein comme un bijou précieux, comme une relique. Il ne m’a jamais quitté depuis ce jour-là, ce gage que la main de mon enfant avait sanctifié. Je ne fus pas maîtresse de mon transport ; je saisis cette main chérie, et je la portai à mes lèvres. Il la retira avec une sorte d’effroi ; elle était trempée de mes pleurs.

« — Que faites-vous, femme ? me dit-il d’une voix dont le timbre pur et sonore retentit jusqu’au fond de mes os. Pourquoi me bénissez-vous ainsi pour un si