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de les changer en amitiés paisibles ; il nous ôte le prestige de la beauté, éloignant ainsi de nous les dangereuses tentations. Rien n’est donc si facile que de vieillir, quoi qu’en disent et quoi qu’en pensent toutes ces femmes malades d’esprit qu’on voit s’agiter dans le monde, en proie à une sorte de fureur obstinée pour cacher aux autres et à elles-mêmes la décadence de leurs charmes, et la fin de leur mission en tant que femmes. Hé quoi ! l’âge nous ôte notre sexe, il nous dispense des labeurs terribles de la maternité, et nous ne reconnaîtrions pas que c’est le moment de nous élever à une sorte d’état angélique ? Mais, ma chère fille, vous êtes si loin de ce terme effrayant et pourtant désirable comme le port après la tempête, que toutes mes réflexions à ce sujet sont hors de propos : qu’elles vous servent donc seulement à comprendre mon histoire. Je restai ce que j’avais toujours été, la sœur de Marcus, et ces émotions comprimées, ces désirs vaincus qui avaient torturé notre jeunesse, donnèrent au moins à l’amitié de l’âge mûr un caractère de force et de confiance enthousiaste qui ne se rencontre pas dans les vulgaires amitiés.

« Je ne vous ai encore rien dit, d’ailleurs, des travaux d’esprit et des occupations sérieuses qui, durant les quinze premières années, nous empêchèrent d’être absorbés par nos souffrances, et qui, depuis ce temps, nous ont empêchés de les regretter. Vous en connaissez la nature, le but et le résultat ; vous y avez été initiée la nuit dernière ; vous le serez plus encore ce soir par l’organe des Invisibles. Je puis vous dire seulement que Marcus siège parmi eux, et qu’il a lui-même formé leur conseil secret et organisé toute leur société avec le concours d’un prince vertueux, dont toute la fortune est consacrée à l’entreprise mystérieuse et grandiose que vous connaissez. J’y ai consacré également toute ma