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lui en pays étranger. Il entretenait une correspondance suivie avec un ami qui le tenait au courant de tout ce qui se passait à Riesenburg, et qui lui donnait d’amples détails sur la santé, sur le caractère, sur l’éducation de mon fils. L’état déplorable de ma santé m’autorisait à mener la vie la plus retirée et à ne voir personne. Je passais pour la sœur de Marcus, et je vécus plusieurs années au fond de l’Italie, dans une villa isolée, tandis que, pendant une partie de chaque année, Marcus continuait ses voyages, et poursuivait l’accomplissement de ses vastes projets.

« Je ne fus point la maîtresse de Marcus ; j’étais restée sous l’empire de mes scrupules religieux, et il me fallut plus de dix années de méditations pour concevoir les droits de l’être humain à secouer le joug des lois sans pitié et sans intelligence qui régissent la société humaine. Étant censée morte, et ne voulant pas risquer la liberté que j’avais si chèrement conquise, je ne pouvais invoquer aucun pouvoir religieux ou civil pour rompre mon mariage avec Christian, et je n’eusse d’ailleurs pas voulu réveiller ses douleurs assoupies. Il ne savait pas combien j’avais été malheureuse avec lui ; il me croyait descendue, pour mon bonheur, pour la paix de sa famille et pour le salut de son fils, dans le repos de la tombe. Dans cette situation, je me regardais comme éternellement condamnée à lui être fidèle. Plus tard, quand, par les soins de Marcus, les disciples d’une foi nouvelle se furent réunis et constitués secrètement en pouvoir religieux, quand j’eus assez modifié mes idées pour accepter ce nouveau concile et entrer dans cette nouvelle Église qui eût pu prononcer mon divorce et consacrer notre union, il n’était plus temps. Marcus, fatigué de mon opiniâtreté, avait senti le bien d’aimer ailleurs, et je l’y avais héroïquement poussé. Il était