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oratoire, au lieu d’agir pour conjurer le danger. Je me précipitai sur mon fils, je le pressai sur mon sein. Il n’eut point peur de moi, il me rendit mes caresses ; il n’avait pas compris ma mort. En ce moment le chapelain parut au seuil de la chambre. Marcus pensa que tout était perdu. Cependant, avec une rare présence d’esprit, il se tint immobile et parut ne point me voir à côté de lui. Le chapelain prononça, d’une voix entrecoupée, quelques paroles d’exorcisme, et tomba évanoui avant d’avoir osé faire un pas vers moi. Alors je me résignai à fuir par une autre porte, et je regagnai, dans les ténèbres, l’endroit où Marcus m’avait laissée. J’étais rassurée, j’avais vu Albert soulagé, ses petites mains étaient tièdes, et le feu de la fièvre n’était plus sur ses joues. L’évanouissement et la frayeur du chapelain furent attribués à une vision. Il soutint m’avoir vue auprès de Marcus, tenant mon fils dans mes bras. Marcus soutint n’avoir rien vu du tout. Albert s’était endormi. Mais le lendemain, il me redemanda, et les nuits suivantes, convaincu que je n’étais pas endormie pour toujours, comme on tâchait de le lui persuader, il rêva de moi, crut me voir encore, et m’appela à plusieurs reprises. À partir de ce moment, l’enfance d’Albert fut étroitement surveillée, et les âmes superstitieuses de Riesenburg firent maintes prières pour conjurer les funestes assiduités de mon fantôme autour de son berceau.

« Marcus me ramena chez lui avant le jour. Nous retardâmes encore notre départ d’une semaine, et quand mon fils fut entièrement rétabli, nous quittâmes la Bohême. Depuis ce temps j’ai mené une vie errante et mystérieuse. Toujours cachée dans mes gîtes, toujours voilée dans mes voyages, portant un nom supposé, et n’ayant pendant bien longtemps d’autre confident au monde que Marcus, j’ai passé plusieurs années avec