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tian cachait sous sa douceur bienveillante une obstination invincible, un attachement opiniâtre aux coutumes de sa caste et aux préjugés de son entourage, une sorte de haine miséricordieuse et de mépris douloureux pour toute idée de combat et de résistance aux choses établies. Sa sœur Wenceslawa, tendre, vigilante, généreuse, mais rivée plus encore que lui aux petitesses de sa dévotion et à l’orgueil de son rang, me fut une société à la fois douce et amère ; une tyrannie caressante, mais accablante ; une amitié dévouée, mais irritante au dernier point. Je souffris mortellement de cette absence de rapports sympathiques et intellectuels avec des êtres que j’aimais pourtant, mais dont le contact me tuait, dont l’atmosphère me desséchait lentement. Vous savez l’histoire de la jeunesse d’Albert, ses enthousiasmes comprimés, se religion incomprise, ses idées évangéliques taxées d’hérésie et de démence. Ma vie fut un prélude de la sienne, et vous avez dû entendre échapper quelquefois dans la famille de Rudolstadt des exclamations d’effroi et de douleur sur cette ressemblance funeste du fils et de la mère, au moral comme au physique.

« L’absence d’amour fut le plus grand mal de ma vie, et c’est de lui que dérivèrent tous les autres. J’aimais Christian d’une forte amitié ; mais rien en lui ne pouvait m’inspirer d’enthousiasme, et une affection enthousiaste m’eût été nécessaire pour comprimer cette profonde désunion de nos intelligences. L’éducation religieuse et sévère que j’avais reçue ne me permettait pas de séparer l’intelligence de l’amour. Je me dévorais moi-même. Ma santé s’altéra ; une excitation extraordinaire s’empara de mon système nerveux ; j’eus des hallucinations, des extases qu’on appela des accès de folie, et qu’on cacha avec soin au lieu de chercher à me guérir. On tenta pourtant de me distraire et de me