Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105

que sous cet habit, que je ne porte pas hors de mes fonctions d’Invisible, j’aie l’aspect d’un octogénaire cacochyme. Au reste, sous les vêtements de mon sexe comme sous celui-ci, je ne suis plus qu’une ruine ; pourtant j’ai été une femme grande, forte, belle et d’un extérieur imposant. Mais à trente ans, j’étais déjà courbée et tremblante comme vous me voyez. Et savez-vous, mon enfant, la cause de cet affaissement précoce ? C’est le malheur dont je veux vous préserver. C’est une affection incomplète, c’est une union malheureuse, c’est un épouvantable effort de courage et de résignation qui m’a attachée dix ans à un homme que j’estimais et que je respectais sans pouvoir l’aimer. Un homme n’eût pu vous dire quels sont dans l’amour les droits sacrés et les véritables devoirs de la femme. Ils ont fait leurs lois et leurs idées sans nous consulter ; j’ai pourtant éclairé souvent à cet égard la conscience de mes associés, et ils ont eu le courage et la loyauté de m’écouter. Mais, croyez-moi, je savais bien que s’ils ne me mettaient pas en contact direct avec vous, ils n’auraient pas la clef de votre cœur, et vous condamneraient peut-être à une éternelle souffrance, à un complet abaissement, en croyant assurer votre bonheur dans la force de la vertu. Maintenant ouvrez-moi donc votre âme tout entière. Dites-moi si ce Liverani…

— Hélas ! je l’aime ce Liverani ; cela n’est que trop vrai, dit Consuelo en portant la main de la sibylle mystérieuse à ses lèvres. Sa présence me cause plus de frayeur encore que celle d’Albert ; mais que cette frayeur est différente et qu’elle est mêlée d’étranges délices ! Ses bras sont un aimant qui m’attire, et son baiser sur mon front me fait entrer dans un autre monde où je respire, où j’existe autrement que dans celui-ci.

— Eh bien ! Consuelo, tu dois aimer cet homme et