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passé entre elle, Albert et l’inconnu depuis sa dernière confession, et elle ne cacha aucune des émotions involontaires qu’elle avait éprouvées.

Lorsqu’elle eut fini, le vieillard garda le silence assez longtemps pour troubler et embarrasser Consuelo. Pressé par elle de juger sa conduite et ses sentiments, il répondit enfin :

« Votre conduite est excusable, presque irréprochable ; mais que puis-je dire de vos sentiments ? L’affection soudaine, insurmontable, violente, qu’on appelle l’amour, est une conséquence des bons ou mauvais instincts que Dieu a mis ou laissés pénétrer dans les âmes pour leur perfectionnement ou pour leur punition en cette vie. Les mauvaises lois humaines qui contrarient presque en toutes choses le vœu de la nature et les desseins de la Providence font souvent un crime de ce que Dieu avait inspiré, et maudissent le sentiment qu’il avait béni, tandis qu’elles sanctionnent des unions infâmes, des instincts immondes. C’est à nous autres, législateurs d’exception, constructeurs cachés d’une société nouvelle, de démêler autant que possible l’amour légitime et vrai de l’amour coupable et vain, afin de prononcer, au nom d’une loi plus pure, plus généreuse et plus morale que celle du monde, sur le sort que tu mérites. Voudras-tu t’en remettre à notre décision ? nous accorderas-tu le droit de te lier ou de te délier ?

— Vous m’inspirez une confiance absolue, je vous l’ai dit, et je le répète.

— Eh bien, Consuelo, nous allons délibérer sur cette question de vie et de mort pour ton âme et pour celle d’Albert.

— Et n’aurais-je pas le droit de faire entendre le cri de ma conscience ?

— Oui, pour nous éclairer ; moi, qui l’ai entendue, je