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intéressante aux yeux de l’ordre, pour amener un si grand concours de ses membres. Elle s’efforça de lire et de méditer pour se conformer aux prescriptions de l’initiateur ; mais elle fut distraite plus encore par une émotion intérieure et des craintes vagues, que par les fanfares, le galop des chevaux et les hurlements des limiers qui firent retentir les bois environnants pendant toute la journée. Cette chasse était-elle réelle ou simulée ? Albert s’était-il converti à toutes les habitudes de la vie ordinaire au point d’y prendre part et de verser sans effroi le sang des bêtes innocentes ? Liverani n’allait-il pas quitter cette partie de plaisir, et à la faveur du désordre, venir troubler la néophyte dans le secret de sa retraite ?

Consuelo ne vit rien de ce qui se passait au-dehors, et Liverani ne vint pas. Matteus, trop occupé, sans doute, au château pour songer à elle, ne lui apporta pas son dîner. Était-ce, comme le prétendait Supperville, un jeûne imposé à dessein pour affaiblir les forces mentales de l’adepte ? Elle s’y résigna.

Vers la nuit, lorsqu’elle rentra dans la bibliothèque dont elle était sortie depuis une heure pour prendre l’air, elle recula de frayeur à la vue d’un homme vêtu de rouge et masqué, assis sur son fauteuil : mais elle se rassura aussitôt, car elle reconnut le frêle vieillard qui lui servait, pour ainsi dire, de père spirituel.

« Mon enfant, lui dit-il en se levant et en venant à sa rencontre, n’avez-vous rien à me dire ? Ai-je toujours votre confiance ?

— Vous l’avez, monsieur, répondit Consuelo en le faisant rasseoir sur le fauteuil et en prenant un pliant à côté de lui, dans l’embrasure de la croisée. Je désirais vivement vous parler, et depuis longtemps. »

Alors elle lui raconta fidèlement tout ce qui s’était